Anne-Marie de Brem, George Sand. Un diable de femme – critique/essai

Anne-Marie de Brem, George Sand. Un diable de femme, Découvertes Gallimard Paris-Musées Littératures, 2002, Pages 112, Euros 10,40

En fin de compte, tout s’arrange, sauf la difficulté d’être, qui ne s’arrange pas. 

Jean Cocteau

Comment raconter en bref la vie intense et prolifique de George Sand ? Personnification du romantisme, éducatrice du peuple et voix des opprimés grâce aux messages idéalistes et humanitaires exprimés par les héros – souvent héroïnes – présents dans ses travails, elle est un personnage considérable dans la vie de son siècle. Née Aurore Dupin en 1803, élevée par sa grand-mère après la mort du père, jusqu’à seize ans au couvent, à dix-huit ans mariée avec un homme sans intérêts intellectuels, puis mère de Maurice et Solange, en 1830 laisse Nohant, son mari et ses enfants pour rejoindre Paris et embrasser la révolution qui renverse la Restauration. Dans la Ville Lumière Aurore devienne, en ordre : journaliste ; écrivaine qui publie nombreux romans ; ‘George Sand’ en adoptant un nom de plume masculin ; liée pour une brève période au poète et romancier Alfred de Musset ; amie de Delacroix, Lambert, Balzac et Flaubert; à partir de 1837, copine pendant huit ans du compositeur et pianiste Frédéric Chopin ; auteur théâtral de succès et enfin liée pendant quinze ans à Alexandre Manceau jusqu’à la mort de l’homme. 

« Celles qui prétendent qu’elles auraient le temps d’être députés et d’élever leurs enfants ne les ont pas élevés elles-mêmes ; sans cela elles sauraient que c’est impossible », affirme George Sand dans un témoignage qu’on trouve à un certain point de la  biographie, où Anne-Marie de Brem laisse transpirer la seule ombre sur la figure de la femme des lettres, en cassant la structure chronologique et linéaire avec laquelle elle développe normalement son travail. En effet, en général, l’auteur argumente sa narration en utilisant un ton plutôt romantique et hagiographique qui se déroule fidèle à la scansion des événements et obséquieux vers la personne représentée. Et qui, donc, admet peu de marge pour une éventuelle discussion. Cependant, quoique le moment de détachement soit limité, il ouvre une fenêtre ambiguë et stimulante sur le fameux personnage: écrivaine de romans, pièces théâtrales, lettres, nouvelles et récits, critiques littéraires et polémiques, aussi bien que peintre et présence active sur la scène politique du XIXe siècle, Sand croit que le combat des femmes doit se concentrer sur la transformation de leurs rapports avec les hommes dans la maison, laissant la possibilité d’incarner une femme aux multiples talents seulement à quelque personne très douée et d’une famille aisée. C’est-à-dire, à quelqu’un comme elle… 

Peut-être consciente d’être un peu trop amoureuse et alignée avec la personne qu’elle décrit, à la fin de son livre Anne-Marie de Brem pense heureusement ajouter des témoignages et documents authentiques qui donnent un portrait à plusieurs facettes de George Sand et amplifient la connaissance qu’on peut avoir d’elle. Là-bas, la philosophe, romancière et essayiste Simone de Beauvoir arrive en aide pour illuminer certaines contradictions : « La maternité pourtant n’est pas son fort : elle s’est fait détester par sa fille ; elle l’a humiliée pendant toute son enfance, l’appelant ‘ma grosse’ et la traitant de sotte. Elle a découragé tous ses élans par des sermons pédants ne lui accordant qu’un amour ‘conditionnel’. » Jamais mère, de Beauvoir nous permet quand même de partir de la figure de George Sand – personne publique à la fois exemplaire et scandaleuse dans son époque -, pour méditer sur les difficultés psychologiques que beaucoup de femmes, du passé et du présent, rencontrent quand elles essayent de coordonner pas seulement leurs identités et capacités de travail, mais aussi leurs conditions de mères. Problème sur lequel personne n’est dispensé de tourments, ni pour un soi-disant esprit ‘libre’, ni grâce à l’émancipation féminine. 

« Sand ne parviendra pas à faire taire en elle le conflit entre Aurore et George. Comment l’aurait-elle pu d’ailleurs, sans modèle à suivre ? » demande Anne-Marie de Brem au début d’un chapitre intitulé Les contradictions d’une femme engagée, où l’auteur approche vitement et avec un peu d’embarras la fracture incurable existante au dedans de George Sand. Modèle elle-même pour les femmes des siècles suivants (« j’aurai ouvert la voie à d’autres femmes »), Sand offre un nouveau chemin à celles qui veulent exprimer leurs personnalités dans une façon créative et sans les conditionnements des hommes où de la société dans laquelle elles vivent. Mais Sand est aussi, malheureusement, la personnification de la tendance contemporaine à la schizophrénie, où souvent une femme est obligée à créer une scission entre elle, en appliquant une sorte de violence sur sa personne, s’elle veut être fonctionnelle aux standards sociaux. Cette attitude comporte au même temps que certains composants féminins très importants doivent être éliminées et supprimées. Ou encore, rester inécoutées et déniées. À savoir : tous les caractéristiques de cyclicité, vulnérabilité dans certaines périodes ou circonstances, nécessité d’un temps pour se renouveler à l’intérieur, maternité, etcetera. Avec ses prémisses, les femmes ne se lancent plus contre un probable ennemi extérieur pour la conquête de la liberté ; mais, au contraire, à cause d’une intériorisation de l’ennemi, elles vivent une hostilité vers leurs propres personnalités, corps et physiologies. Et, quelque fois, comme dans le cas de George Sand, contre leurs filles. Alors, on peut regarder peut-être à Solange comme à l’incarnation de la fragilité qu’Aurore n’est pas libre de vivre quand elle s’habille avec les vêtements publics qui la transforment en George. S’elle veut préserver son personnage de la destruction à cause des obstacles, des critiques et des ennemis, elle doit être solide comme un homme. Ou mieux, plus qu’un homme. Nous révélant ainsi la difficulté d’être une femme forte et de rejoindre des bons résultats professionnels sans violer soi-même et sa propre personnalité. 

« Les échanges intellectuels avec ses camarades masculins lui paraissent plus intéressants qu’avec leurs compagnes. D’une certaine façon, George endosse l’image que voient en elle certaines confrères », en particulier Balzac, Flaubert et les autres qui la considèrent ‘un grand homme’. Pour être acceptée dans l’élite des grandes personnes, George Sand doit devenir similaire aux participants à ce group d’élus à travers les vêtements masculins, les idées libérales et les ambitions artistiques. Pour continuer à être comme un homme, beaucoup de fois elle choisit des copains qui dans la vie privée expriment faiblesse et doléances. Le poète Alfred de Musset qui, si comparé à elle, écrit peu et se tourmente tous les jours. Le musicien Frédéric Chopin, dans la description de la femme de lettres : « doux, enjoué, charmant dans le monde, il était désespérant dans l’intimité exclusive. » Il semble ainsi que souvent Sand n’est pas capable de sauver sa personne de la prédominance de son personnage, où la victime principale de cette choix de vie est probablement Solange. Un jour, en effet, pendant une violente dispute entre la mère et la fille, Chopin prend le parti de la jeune femme, quittant ensuite sa copine ; au même temps Solange devienne l’ennemie de sa mère. Enfin, on pourrait affirmer que, si les lecteurs peuvent pardonner l’homme que George Sand doit être pour réaliser ses projets artistiques, peut-être Solange n’est pas libre de faire pareil.

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Françoise Giroud, Lou. Histoire d’une femme libre – critique/essai

 

La vie est faite d’illusions. Parmi ces illusions, certaines réussissent. Ce sont elles qui constituent la réalité.

Jacques Audiberti

 

Françoise Giroud, Lou. Histoire d’une femme libre, Fayard, 2002, Pages 156, Euros 5,05

“La femme ne doit pas se lancer avec le même sérieux que l’homme dans un travail littéraire; celui-ci a toujours une importance marginale dans sa vie et ne saurait être pour elle un acte majeur d’expression de soi, car c’est ailleurs qu’elle exprime son moi.” Qui parle si brutalement de l’écriture au féminin n’est pas une personne quelconque mais Lou Andreas-Salomé – née en 1861 et écrivaine elle-même – et, surtout, la femme qui inspire la réalisation de certains chef-d’œuvre à trois hommes les plus connus dans le milieu culturel aux XIXe et XXe siècles. Il s’agit du philosophe Friedrich Nietzsche, du poète Rainer Maria Rilke et du père de la psychanalyse Sigmund Freud, pour lesquelles Lou est une figure centrale, même quand ses contradictions se révèlent jamais résolues.

 

Pendant l’argumentation de son livre, souvent Françoise Giroud ne maintient pas le niveau d’une analyse rigoureuse et s’attarde sur des détails morbides en manifestant ainsi des sentiments ambivalents, à la fois d’admiration et de répulsion pour l’excentricité de Lou Andreas-Salomé. “Si c’est un sort choisi et non subi, non enduré sous la pression familiale, sociale, celle de l’environnement professionnel ou amical – tout ce qui croit toujours savoir mieux que vous ce qui est bon pour vous -, bref, si l’on ne se laisse pas ‘agir’ par les Autres. On est libre.” Mais, malgré cette démonstration d’estime, Françoise Giroud ne perd pas une occasion pour rappeler que la personne dont on parle est une perverse et, même s’elle dit d’avoir bien étudié la pensée de Nietzsche, le jugement tranchant qui revient à chaque chapitre indique qu’elle ne va pas Par-delà le bien et le mal.

 

En effet, au-dessous de la narration, on découvre une thèse. L’auteur veut démontrer comme l’inceste présumé expérimenté par Salomé avec son père et ses frères, a influencé sa créativité et sexualité: Lou écrit beaucoup et gagne du succès pendant sa vie mais, en fin de comptes, elle est une espèce de graphomane en même temps boulimique et anorexique de mots et d’une présence masculine, plus qu’une femme complète et une écrivaine vraie et propre. A cause de l’excès d’attentions intimes reçues dans l’enfance, Lou a un “moi” brouillé et pervers. Elle s’éloigne de son corps à travers la protection d’une spiritualisation extrême qui s’exprime en premier lieu dans la choix d’arriver chaste jusqu’à trente-cinq ans – même si elle se marrie en 1887 – ; et, plus tard, pour l’habitude de consommer des “festins d’amour” avec des hommes plus jeunes qu’elle.

 

Selon la journaliste et femme politique française, l’intellectuelle d’origines russes – fameuse parmi ses contemporains pour des livres à caractère érotique – même dans son travail ne donne pas de richesse charnelle et de plénitude à l’écriture, comme si elle parlerait beaucoup renvoyant à un moment indéfini l’arrivée au cœur du discours. Lou Andreas-Salomé a un fort imaginaire mais n’est pas capable de lui donner une forme personnelle: “Nietzsche (…) lui reproche de mal écrire. C’est un fait: elle n’a pas de style et n’en aura jamais. Or, pour le philosophe, l’écriture doit être parfaite ou n’être pas.” Et, même si Lou produit un texte important (Anal und Sexual, 1916) qui représente une contribution à la théorie psychanalytique de Freud (qui quelquefois lui donne de l’argent pour écrire et la respecte beaucoup), l’histoire de la littérature ne va pas s’en souvenir pour ses livres. Giroud insiste sur sa manque d’ambition: “elle sait qu’elle n’est pas une artiste; elle n’a d’ailleurs aucune vanité au sujet de son œuvre littéraire.” Et alors, plutôt que mettre corps et âme dans l’écriture créative exercée quand même copieusement, Lou est heureuse de se concentrer sur sa rayonnante personnalité, qui perdure dans la mémoire suivante pour la capacité de se donner aux autres et faire d’elle-même son œuvre la plus remarquable, à travers ses choix existentielles et pour le talent d’auditrice.

 

Comme une sage-femme avec les enfants à naitre, dans une partie de sa vie Lou Andreas-Salomé consacre ses forces à la compréhension des angoisses et des complexités intérieures de Nietzsche, Rilke et Freud, hommes d’une sensibilité exaspérée qui éprouvent sur leur peau le brulant dépassement – respectivement – de la philosophie, poésie et psychologie traditionnelle. Ils sont sans aucun doute tous ensorcelés par elle, en appréciant sa beauté séduisante et la capacité d’être une valable interlocutrice. Mais, chaque fois et avec chacun d’eux pour une raison différente, ce qui se passe est marqué par une certaine ambigüité.

 

Friedrich Nietzsche, connu en 1882 grâce à un ami, est en train de s’éloigner de la pensée de Schopenhauer et de sa conception de l’impossibilité du bonheur. Le philosophe, tourmenté par la théorie de l’eternel retours de toutes choses et à la recherche d’une nouvelle métaphysique, est amoureux de cette femme qui comprend ses préoccupations et en discute avec compétence. Mais qui, de son côté, éprouve seulement de l’admiration pour lui, en le laissant fou de désir. Peut-être parce que Lou considère en ses propres mots que, si chez Nietzsche “le besoin religieux (…) devient une force héroïque de son être, un désir de sacrifice à une noble cause”, en revanche elle est persuadée que sa vie ne doit pas être vécue suivant un idéal a priori mais selon “quelque chose de beaucoup plus merveilleux, (…) qui est en moi, (…) tout chaud de vie, plein d’allégresse et qui cherche à s’échapper.” Si le philosophe fait face à l’existence imaginant la perspective de l’éternité, Lou vit au jour le jour, en affirmant de pouvoir être fidele aux souvenirs de chaque journée et pas aux personnes avec lesquelles elle la partage, Nietzsche compris.

 

Rainer Maria Rilke, encore “René” quand rencontre Lou en 1897, écrit: “Je ne suis pas un amoureux, personne ne m’a jamais tout à fait ébranlé, peut-être parce que je n’aime pas ma mère”, mais il a quand même un absolu besoin d’une figure réelle qui lui aide à apaiser ses angoisses et dépressions, constitutives de son effort poétique. A ce moment-là Lou a trente-six ans et son expérience sexuelle est limitée à celle-là avec une amie ou avec plusieurs hommes. De toute façon le rapport avec Rilke fait lui dire: “si je fus ta femme pendant des années c’est parce que tu fus pour moi la première réalité”, sa première occasion d’intimité affective et émotive avec un homme. Par conséquent, heureux d’être l’un la réalité de l’autre, vivent un amour sans possessivité mais, quand à cause de l’épuisement intellectuel Rainer Maria a un déséquilibre psychique qui peut dégénérer en démence, Lou le quitte. Juste maintenant elle se sent entièrement soi-même et n’a plus envie d’avoir obligations “parentales” vers lui. Elle se préserve des risques de la littérature et rajeunit grâce à l’amour du poète déversé dans ses lyriques et, pour ces épisodes, on ne peut pas blâmer Giroud quand elle considère la liberté de Lou Andreas-Salomé étroitement liée à sa cruauté.

 

Sigmund Freud est dans sa vie depuis 1911 et arrive après deux faits importants et inquiétants: l’amour sensuel avec Zemek, médecin neurologue avec lequel elle projette un fils; et, quand enceinte, la perte de l’enfant en tombant “par hasard” d’un arbre. Circonstances bien envisagées dans ses écrits à propos de l’absence de “l’audace de mettre au monde un être humain”. Et alors, pour la première fois dans sa vie, avec Freud la femme accepte d’être disciple d’un Maître, peut-être parce qu’il n’exprime jamais d’attirance sexuelle envers elle: Lou Andreas-Salomé se fie de lui et l’appuyai toujours contre le dissidents. Suivant le conseil de Freud – qui l’appelle la “Compreneuse” -, Lou commence à exercer la profession psychanalytique en appliquant ses inclinations naturelles à l’écoute des patients. Quand elle comprend de n’utiliser pas l’écriture pour créer et explorer les psychologies de personnages de fantaisie ou les paysages de mondes imaginaires, Lou décide de sonder les problèmes d’êtres humains en analyse, en trouvant à la fin son vrai chemin où elle se donne, probablement, aussi la possibilité de dénouer ses conflits internes.

 

Le meilleur témoignage qu’il y a dans le livre pour discuter la catégorie de perversité attribuée par Françoise Giroud à Lou Andreas-Salomé – et pour la dépasser montrant que c’est une description trop simpliste de son caractère – sont les mots d’un des ses amants, le psychanalyste suédois Poul Bjerre: “On remarquait aussitôt que Lou était une femme extraordinaire. Elle avait le don d’entrer complètement dans l’esprit de l’homme qu’elle aimait. Son immense pouvoir de concentration attisait (…) le feu intellectuel de son partenaire. De ma longue vie je n’ai jamais connu personne d’autre qui m’ait compris si vite, si bien, si complètement. (…) Elle aspirait à être délivrée de sa forte personnalité, mais n’y parvenait pas. Lou était la femme non délivrée.”

 

En conclusion, donc, on peut supposer peut-être que Lou Andreas-Salomé est une femme esclave et prisonnière de sa forte personnalité mise au service des autres. Elle est libre de faire des choix sans soumettre sa volonté aux personnes qui l’entourent, mais c’est aussi plausible qu’elle n’est pas capable de se dégager du poids de son caractère très original, renonçant ainsi à la proximité d’un homme (et d’éventuels enfants) et aux implications émotives d’une liaison, pour mener – sans s’en rendre compte – une existence qui on pourrait définir “traversée par une névrose”. Ce que Sigmund Freud dans des circonstances précises commence à évaluer sérieusement: “J’apprends avec effroi (…) que vous consacrez chaque jour jusqu’à dix heures à la psychanalyse. Je considère cela naturellement comme une tentative de suicide mal dissimulée, ce qui me surprend beaucoup, car, et pour autant que je sache, vous avez fort peu de sentiment de culpabilité névrotique.” Finalement, c’est possible alors que Lou Andreas-Salomé soit une névrotique qui n’analyse jamais soi même et voudrait choisir un destin d’amour, mais tue certaines inclinations suivant son talent d’exception pour travailler sans repos et poursuivre un sort de compréhension, duquel elle ne se délivre jamais. Et il serait intéressant d’étudier les effets de cette particulière forme de stakanovisme sur ses patients. 

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